Retour à la Page d'Accueil
L'eau:
une richesse du Liban, objet de convoitise de moins en moins caché...

Février 2009
Une grande réunion pour l'eau est prévue cette semaine à Beyrouth, au cours de laquelle seront discutés des thèmes intéressant les pays méditerranéens,
comme la gestion intégrée des ressources hydrauliques, le financement de l'eau, l'hydrodiplomatie, etc.
La deuxième semaine de l'eau à Beyrouth, qui accueille la réunion des directeurs de l'eau du bassin méditerranéen et des experts dans le domaine, est organisée du 4 au 7 février, à l'hôtel Metropolitan, par le ministère de l'Énergie et de l'Eau, direction générale des ressources hydrauliques et électriques, et le Partenariat global pour l'eau - Méditerranée (GWP-Med), avec l'appui de la Composante méditerranéenne de l'Initiative de l'eau de l'Union européenne (MED EUWI) - pilotée par le gouvernement grec -, le gouvernement français et d'autres donateurs.
Ces réunions des directeurs généraux de l'eau ont lieu deux fois par an, dans le cadre de la MED EUWI, et cette réunion se déroule cette fois-ci à Beyrouth.
Le ministre de l'Énergie et de l'Eau Alain Tabourian, le ministre français Jean-Louis Borloo, invité d'honneur, Serge Telle, ambassadeur, représentant l'Union pour la Méditerranée (UPM), ainsi que les directeurs généraux des pays membres et de nombreux représentants d'organisations régionales et internationales seront présents. Les présidents du congrès seront Fadi Comair, directeur général du ministère de l'Énergie et de l'Eau, et Michael Scoullos, président du GWP-Med.
Seront notamment discutés des thèmes ayant trait, sur un plan plus vaste, à l'élaboration de la nouvelle stratégie de l'eau en Méditerranée, et les efforts à déployer collectivement pour y arriver, surtout avec la perspective du changement climatique dont l'impact sur le bassin méditerranéen sera une nette pénurie en eau. Ainsi, la première session sera consacrée à la gouvernance de l'eau en Méditerranée, et sera axée sur les initiatives et les processus régionaux en cours, ainsi que sur le rôle de l'UPM dans le domaine de l'eau et du développement durable. Au cours de cette session, le concept de gestion intégrée (globale) des ressources en eau et la nécessité de son application par les pays du sud-est de la Méditerranée seront au centre des interventions et des discussions.
Autre sujet brûlant, celui de la gestion de la demande en eau, une eau qui se fera de plus en plus rare en raison du changement climatique et de la croissance démographique. Au cours de cette deuxième session, des sujets comme l'économie d'eau en vue d'une utilisation maximale, la protection des ressources et autres mesures à prendre, seront soulevés. La délicate question de la tarification de l'eau sera débattue comme outil inévitable de la gestion de la demande de l'eau.
Le financement de l'eau, notamment les projets hydrauliques destinés à satisfaire les besoins des populations, sera abordé par les participants à la réunion. L'accent sera mis sur le partenariat public-privé, et les succès dans ce domaine.
Les cours d'eau transfrontaliers et le partage des ressources sont souvent source de problèmes, entre autres au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. La coopération régionale pour la gestion de ces cours d'eau internationaux sera au menu des discussions des directeurs généraux et des experts, plus précisément l'hydrodiplomatie qui serait fondée sur la coopération en vue de la création d'une dynamique de développement économique au niveau d'un bassin transfrontalier, loin du concept purement sécuritaire.
Le rôle de l'éducation sera discuté au cours d'une session présentée par l'Unesco, des représentants de différentes universités libanaises, françaises et méditerranéennes, ainsi que des représentants de la société civile.
L'enseignement universitaire visant à former les futurs « leaders de l'eau » du bassin méditerranéen et sa contribution au développement seront au centre des débats.
Le changement climatique et ses effets sur les ressources hydrauliques des pays du Sud-Est méditerranéen sera bien sûr discuté au cours de cette réunion, sous l'angle de l'adaptation des différents pays à ce phénomène, et les mesures à prendre pour faire face à cette situation qui affectera, à l'évidence, quelque 300 millions de personnes souffrant de pénurie d'eau en 2070.
Un rôle central pour le Liban dans la stratégie régionale
M. Comair précise à L'Orient-Le Jour que cette réunion de directeurs généraux se tient généralement deux fois par an, à l'initiative de la MED EUWI, pilotée par la Grèce. Elle vise à discuter des problèmes d'eau dans les pays de la région, particulièrement des effets néfastes du changement climatique, et de la pénurie d'eau dont risque de souffrir le bassin méditerranéen, avec une mutation graduelle vers des climats plus arides.
Pour faire face à de tels problèmes, toujours selon M. Comair, l'objet de l'Initiative de l'eau de l'UE, avec l'UPM, sera de présenter un plan global pour la gestion de la demande en eau, qui pourra s'adapter aux cas des différents pays. L'accent sera mis, notamment, sur l'irrigation qui utilise actuellement une moyenne de 80 % des ressources des pays du sud-est de la Méditerranée, sachant que les pays de la rive nord, qui disposent de plus d'eau, utilisent des techniques d'irrigation avancées. La question de la réutilisation de l'eau après épuration est aussi au centre des préoccupations.
Selon le directeur général de l'Eau, il faut axer les efforts sur deux paramètres : la mobilisation de ressources dans des barrages et des lacs, et la réutilisation de l'eau épurée tout en introduisant des techniques d'irrigation plus efficaces.
Le troisième thème principal est celui de la gouvernance. M. Comair rappelle que le Liban a adopté une stratégie de l'eau, ce qui pousse la MED EUWI à vouloir mettre en avant son rôle dans l'élaboration d'une stratégie régionale. Il indique également que le concept de la gestion intégrée de l'eau est adopté depuis 2000.
Mais le délai de la mise en application de la stratégie décennale, souligne-t-il, a été repoussé jusqu'à 2018.


Novembre 2008- Le symposium international sur l’eau
« Resolving the Water-Energy Nexus »
s’est déroulé au siège de l’Unesco à Paris du 26 au 27 novembre, un événement qui s’inscrit dans le cadre du Programme hydrologique international (PHI) de l’Unesco en collaboration avec le Programme des énergies renouvelables de l’Unesco.

Il est organisé par l’association RED-Éthique et constitue également un événement préparatoire au Forum mondial de l’eau, qui se tiendra à Istanbul, en mars 2009.

A cette occasion, le directeur général des Ressources électriques et hydrauliques Fadi Comair (photo ci-dessus) a tenu à relever qu’il est désormais inévitable pour les Libanais de prendre conscience que « le monde est en train de changer » et que, par conséquent, le Liban est également concerné par le changement climatique et la rareté des ressources hydrauliques. « Les précipitations sont passées de 600 à 450 millimètres par an, et il ne pleut plus que sur 60 à 90 jours au lieu des 90 à 100 jours habituels. Sur le plan climatique, la température autour du bassin méditerranéen va augmenter dans les années qui viennent de 2 à 4 degrés Celsius. Pour le Liban, cela signifie que le climat va devenir semi-aride après avoir été méditerranéen. Les pays semi-arides, comme le Maroc par exemple, vont connaître l’aridité totale, type Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis. »
C’est seulement lorsque le Liban et ses voisins directs auront pris conscience de l’importance de la gestion de l’eau qu’une réelle coopération pourra avoir lieu. Selon M. Comair, cette prise de conscience existe déjà. Il cite dans ce cadre les modifications qui ont été apportées au traité signé avec la Syrie concernant les eaux de l’Oronte. Originellement signé en 1994 dans la foulée des accords de Taëf, il prévoyait que le Liban accéderait à 80 millions de mètres cubes par an, sans prévoir d’infrastructure de stockage, ni l’irrigation. De plus, il considérait les eaux souterraines comme des bassins ouverts et comptabilisait le fleuve Nahr Ibrahim dans le cadre de ces 80 millions de mètres cubes. « C’est en se basant sur la Convention sur l’eau des Nations unies de 1997 que le Liban et la Syrie ont tous deux signé que nous avons réussi à convaincre la partie syrienne de revoir cet accord. L’argument principal sur lequel nous nous sommes basés était le suivant : si nous ne parvenons pas à coopérer entre pays amis, comment pourra-t-on procéder avec l’ennemi et face à lui, en l’occurrence Israël ? Mais cela n’a pas été facile, six mois sont passés sans que nous parvenions à tomber d’accord sur un ordre du jour. » En 2002, les accords ont été modifiés et trois points importants ont été retenus : le stockage de 38 millions de mètres cubes, la création de la station hydroélectrique et l’irrigation de sept mille hectares dans le Hermel et dans le Kaa.
Le Wazzani et le Hasbani
Plus au sud et en ce qui concerne le Wazzani et le Hasbani « le partage n’est toujours pas équitable. Nous avons réussi à faire entendre nos droits auprès des Nations unies dans une lettre adressée à Kofi Annan à l’époque. Mais cela n’a pas été facile, car Israël n’est pas signataire de la Convention de 1997 ». Concrètement, le Liban n’a droit aujourd’hui qu’à 7 millions de mètres cubes sur un total de 135 millions. « Israël pratique une gestion non durable de l’eau. Le standard reconnu par l’ONU, c’est 200 litres par jour et par personne. En Israël, ce sont 350 litres par jour par personne qui sont utilisés.
Au Liban, nous devrions pouvoir accéder dans la zone du Wazzani et du Hasbani, c’est-à-dire une superficie de 5 000 hectares et une population de 300 000 habitants, à ce standard de 200 litres par jour et par personne. »
Quid des fermes de Chebaa ? Fadi Comair souligne que le Jourdain prend sa source dans trois points géographiques distincts : en Cisjordanie, dans le Golan et au Liban-Sud, grâce au Wazzani et au Hasbani. Les fermes de Chebaa irriguent quant à elles le fleuve Dan « et ont une incidence directe sur ce fleuve dont profite directement et exclusivement Israël depuis son occupation de cette zone.
Quantitativement, cette zone comprend 28 à 30 mètres cubes d’eau ».
Les projets en matière d’eau et d’énergie propres restent nombreux au Liban, même s’ils sont trop souvent occultés par une actualité politique peu propice au développement de projets environnementaux à portée durable. Au nombre de ces projets figurent « un certain nombre de barrages tendant à retenir et stocker 850 mètres cubes d’eau », l’édification de « centrales hydroélectriques au niveau du Nahr Ibrahim, de l’Oronte et du Bared » surtout que « chaque année, l’Office des eaux paie une facture faramineuse à l’Électricité du Liban » et que tout cet argent pourra être économisé si ces projets sont menés à bien. Les éoliennes ont-elles une place au Liban ? « Bien sûr, nous avons d’ores et déjà répertorié les sites ventés. Nous en comptabilisons trois : la plaine de Marjeyoun-Khiam, la plaine du Akkar et dans le Mont-Liban, sur l’axe Cèdres-Faraya. »

L’eau, nouvel enjeu géopolitique


«Opération Litani» ou la guerre pour l’or bleu?
Carte du Liban avec le cours du fleuve Litani entre Sud-Liban et  Plaine de la Bekaa


Le n°4 de la revue « Études géopolitiques » éditée par l’Observatoire français d’études géopolitiques (OEG) vient de paraître.

-Eté 2005- Publié sous la direction de Charles Saint-Prot et Zeina el-Tibi, ce numéro soulève la question de l’eau, de son enjeu économique et commercial dans les principales régions du monde (Proche-Orient, Asie, Amérique, Afrique).
L’« or bleu » fait l’objet de plusieurs analyses signées Jeremy Allouch (Institut universitaire des hautes études internationales à Genève), Chanel Boucher (vice-président de la Banque africaine de développement), Alexandre Brun (professeur à l’université de Caen), Adil Bushnak (Arabie saoudite), Fadi Comair (directeur des Ressources hydrauliques au Liban), Frédéric Lasserre et Jean Mercier (professeurs à l’université Laval du Québec), Gilles Munier (journaliste), Ricardo Petrella (Université catholique de Louvain), Charles Saint-Prot (géopoliticien, directeur de l’OEG) et Zeina el-Tibi (journaliste, directeur de la revue « Études géopolitiques »), mais aussi Christian Chesnot, journaliste spécialiste des questions hydrauliques et auteur de plusieurs publications dont « La bataille de l’eau au Proche-Orient », paru aux éditions L’Harmattan.

Travaux sur le fleuve Wazzani

Le numéro lui consacre une étude sur la question de l’eau dans le conflit israélo-arabe dont nous publions ci-dessous quelques extraits. Au Proche-Orient plus qu’ailleurs, l’eau promet d’être un enjeu majeur du XXIe siècle. L’occupation de la Cisjordanie se traduit par une réalité lourde de conséquences pour les Palestiniens : Israël contrôle tous les flux, en provenance ou à destination des Territoires autonomes. Hommes ou marchandises, électricité ou Internet, tout doit passer par l’État hébreu à un moment ou à un autre. Et l’approvisionnement en eau ne doit pas faire exception à la règle. Les autorités israéliennes peuvent en effet à tout instant « couper le robinet » puisqu’elles gèrent l’ensemble du système d’infrastructures hydrauliques, des stations de pompage jusqu’au réseau de canalisations (…) L’État hébreu dispose de la capacité technique de limiter ou de perturber ses livraisons d’eau en fonction de la conjoncture politique. Une véritable épée de Damoclès suspendue en permanence au-dessus de la tête de la population palestinienne, qui, depuis des années, souffre d’un approvisionnement parcimonieux, et largement insuffisant. Car en Palestine, comme ailleurs au Proche-Orient, le spectre de la pénurie d’eau menace. Outre la dimension politique (l’eau est une source de pouvoir pour celui qui la possède), la problématique du partage des ressources hydriques est devenue un enjeu majeur pour tous les pays de la région. Régulièrement, le roi Abdallah II de Jordanie parle dans ses discours de « priorité nationale » absolue pour son royaume. Car le Proche-Orient commence à connaître des situations de « stress hydrique », selon la terminologie employée par les experts hydrauliques.

Nombreux sont les États qui se situent désormais sous le seuil de pénurie, estimé à 1 000 m3 d’eau par habitant et par an. À 500 m3, la situation devient critique et à moins de 100 m3, il faut faire appel à des sources d’eau « non conventionnelles » comme le dessalement ou la réutilisation des eaux usées. Le Koweït, le Qatar et Bahreïn disposent de 90 à 120 m3 par habitant et par an ; l’Arabie saoudite de 160 m3 ; Israël de 400 m3 et la Jordanie de 260 m3. Ces deux derniers pays accusent un déficit d’environ 300 millions de m3/an qu’ils comblent en surexploitant les nappes phréatiques, dont certaines ne sont pas renouvelables.
Aujourd’hui, l’équilibre entre les besoins de l’homme (agriculture, tourisme, industrie et approvisionnement des villes) et la qualité d’eau disponible dans de nombreuses parties du Proche-Orient est rompu ou en passe de l’être. Face à une croissance démographique rapide combinée à un développement économique et social qui dévore les ressources hydrauliques, le fossé se creuse inexorablement. Tout au long de la dernière décennie, la crise de l’eau a atteint une ampleur inquiétante. L’ancien secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali, a été l’une des premières personnalités internationales à tirer la sonnette d’alarme : « Le prochain conflit dans la région du Proche-Orient portera sur la question de l’eau (…)
L’eau deviendra une ressource plus précieuse que le pétrole », assurait-il dès 1992.

Vue du fleuve Litani et du lac de Qaraoun


Les conséquences du réchauffement climatiques au Liban:

Crues précoces et moins d’eau à consommer, premiers effets
d’une élévation des températures au Liban


Beyrouth, Février 2007- Le changement climatique est un phénomène global dont l’existence ne fait plus de doute pour la communauté scientifique. De toute évidence, il affecte le Liban qui, à l’instar des autres pays à climat modéré, risque de connaître des hausses de températures de l’ordre de 2 à 4°C. Les conséquences les plus graves concerneront l’approvisionnement en eau qui dépend en grande partie, au Liban, de la fonte des neiges. Les résultats d’une étude menée depuis 2001 sous la direction de Wajdi Najem, directeur du Centre régional de l’eau et de l’environnement de l’ESIB (USJ), montrent que le stock d’eau provenant des neiges passera de 1 200 millions de mètres cubes dans les conditions actuelles à... 700 millions en cas de hausse de deux degrés, et à 350 millions en cas de hausse de quatre degrés. De même, l’altitude d’enneignement durable, le débit des cours d’eau en été, etc en seront tous affectés. L’étude soulève également les défis de la gestion qui naîtront des conséquences du changement climatique. De quoi faire réfléchir...

Rétrécissement des pistes skiables et irrigation problématique dans l’agriculture
«Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), réuni à Paris depuis le 31 janvier, vient de rendre un rapport alarmant concernant le réchauffement de la planète. Ce quatrième rapport affine les estimations du troisième rapport établi en 2001 : la perspective d’un réchauffement global s’établit entre 1,8°C et 4°C pour 2100, si aucune mesure n’est prise pour contrer cette évolution (voir L’Orient-Le Jour du 3 février). Un consensus semble s’être dégagé pour attribuer la plus grande part de ce réchauffement aux activités humaines, en particulier les émissions de dioxyde de carbone liées aux combustions de produits pétroliers et de charbon. Le rapport scientifique est complété par un résumé aux décideurs préconisant des mesures visant à limiter cette évolution globale et à la prendre en compte dans la planification régionale. Ce document constitue un appel aux gouvernements qui sont sollicités à deux niveaux : au niveau mondial pour établir des accords gouvernementaux limitant les émissions de dioxyde de carbone (le premier accord a été établi à Kyoto en 1992), au niveau local, pour intégrer les impacts régionaux à leur politique d’aménagement.
En effet, le réchauffement global va être ressenti de façons très différentes suivant le contexte local : un réchauffement de 2°C sera plutôt favorable au développement du Canada, ou de la Sibérie, et catastrophique dans les pays sahéliens ; une élévation de 40 centimètres du niveau marin aura des conséquences minimes au Liban, mais nécessitera le déplacement de dizaines de millions de personnes au Bangladesh. Il est nécessaire d’envisager les conséquences locales des changements climatiques locaux en particulier leurs deux composantes principales : la pluie et la température.

Le projet scientifique
«Afin d’évaluer l’impact d’un changement climatique sur le Liban, un projet scientifique a été élaboré en 2001 par le Centre régional de l’eau et de l’environnement de l’ESIB (Creen) sous la direction du doyen Wajdi Najem. Après évaluation, ce projet a reçu le soutien du ministère français des Affaires étrangères (programme Corus), avec une participation de l’équipe Hydrosciences de l’Université de Montpellier.
Les modèles de changement climatique (GCM) prévoient pour le Liban une faible variation de la pluviométrie et une hausse de température moyenne conforme à celle des pays tempérés dans la fourchette de 2 à 4°C pour la fin du siècle dans des conditions de croissance de la concentration de dioxyde de carbone définies (500 ppm à l’horizon 2100). Les impacts les plus significatifs concernent le cycle de l’eau, avec des modifications de la disponibilité de l’eau et ses conséquences avec de nouveaux conflits d’usage de la ressource. La prévision des impacts nécessite d’élaborer des outils de représentation du comportement (les « modèles »), basés sur des mesures des grandeurs physiques in situ.
Dans les régions du Liban non soumises à l’enneigement, les modifications faibles de la pluie et de l’évaporation des sols sont négligeables en comparaison avec les impacts liés aux autres causes d’origine humaine, comme la concentration urbaine et l’extension accélérée de l’irrigation. Les prévisions de ces termes sont suffisamment incertaines, pour cacher l’effet du réchauffement. L’effet le plus spectaculaire est lié à l’impact du réchauffement global sur l’enneigement, et ses conséquences sur les régimes des sources et des fleuves libanais. Chaque année sur le mont Liban, il peut neiger à partir de 1 000 mètres, et aux altitudes plus élevées, le couvert neigeux peut persister pendant environ 3 mois. Lorsque cette neige fond au printemps et durant l’été, elle participe avec un certain retard sur les pluies d’hiver, à l’alimentation de la quasi-totalité des cours d’eau libanais. La fonte des neiges alimente non seulement les fleuves coulant entièrement au Liban, les fleuves côtiers et le Litani, mais aussi l’Oronte, fleuve international, qui, après avoir traversé la Békaa-Nord et la Syrie, se jette dans la mer en Turquie à Antakya.
Pour aborder le problème de l’impact du réchauffement sur l’enneigement et ses conséquences, et en raison de l’absence de données chiffrées sur cette question, le Creen a lancé, en 1999, un grand programme scientifique en deux volets. Le premier volet a consisté à instrumenter le haut bassin du Nahr el-Kalb, pour déterminer les caractéristiques de la neige, les conditions de sa chute et de sa fonte, sa répartition en surface et l’épaisseur du manteau neigeux. Ces études ont commencé en décembre 1999, sous la direction de J.O. JOB, directeur de recherches à l’Institut de recherches pour le développement. Elles se sont poursuivies jusqu’à fin juillet 2004, et ont fait l’objet de nombreuses publications.
Trois étudiants de DEA ont effectué les mesures de terrain et soutenu leurs mémoires sur le sujet. Une thèse de doctorat a été soutenue en 2006 (Angèle Aouad). Des équipements ont été installés : 3 stations météo dont une à Ouyoun el-Simane à 1 880 m.
Ce dispositif relativement lourd a permis de recueillir les données nécessaires à la compréhension des mécanismes et à l’estimation des paramètres, qui conditionnent l’évolution dans le temps de l’équivalent en eau du couvert neigeux.
Le second volet a consisté à élaborer des outils mathématiques, qui, à partir des données recueillies sur le terrain, sont capables de prévoir à longue échéance les comportements du couvert neigeux, le débit des sources et des fleuves, dans les conditions nouvelles créées par le changement de température. Cette partie a été menée à bien sous la direction de C. Bocquillon, professeur émérite de l’Université de Montpellier.
Une dizaine d’étudiants en DEA ont participé à l’élaboration de ces outils mathématiques et une thèse a été soutenue sur le sujet (Antoine Hreiche).

Les résultats
« La quantité d’eau précipitée en moyenne sur le territoire libanais est d’environ 9 000 millions de mètres cubes, dont environ le tiers sous forme neigeuse. En raison des variations thermiques autour de 0°C, une grande partie de cette neige va fondre aussitôt tombée. Mais l’accumulation des quantités non fondues va constituer un stock, qui atteint son maximum au mois de mars, à la fin de la saison des pluies. Lors de la fin du printemps et de l’été, ce stock, en fondant, assurera le soutien des débits des sources et des fleuves.
Dans les conditions climatiques actuelles, ce stock peut être estimé en moyenne à 1 200 millions de m3, ce qui est considérable (5 à 6 fois la capacité de stockage du barrage de Qaraoun). Un réchauffement de 2° réduirait ce stock à 700 millions de m3, un réchauffement de 4° à 350 millions de m3. On voit donc l’impact considérable du réchauffement planétaire sur l’enneigement du Liban. Ce fait est dû essentiellement à la position géographique du pays situé autour du 32e parallèle, qui constitue une limite inférieure de l’existence de neige permanente. Un réchauffement de 2° équivaut à un déplacement vers le Sud de 200 km.

a- Impact sur l’enneigement
« L’altitude d’enneigement non éphémère est en l’état actuel de 1 500 mètres. Elle monte à 1 700 mètres avec un réchauffement de 2°C, et à 1 900 mètres avec un réchauffement de 4°C. La durée d’enneigement (skiable) pour une station située à 2 000 mètres est de 3 mois en moyenne. Cette durée passerait à 45 jours avec un réchauffement de 2° et à 1 semaine avec un réchauffement de 4°. L’impact sur les conditions de fonctionnement des stations de sports d’hiver serait considérable. L’hiver particulièrement doux en France cette année préfigure ce que sera une année sur deux dans l’avenir : les stations de moyenne montagne n’avaient ouvert que la moitié de leurs pistes au 1er février. Dans ces conditions, les investisseurs hésitent dans la réalisation d’aménagements coûteux (télésièges, canons à neige, etc…), dont l’amortissement est prévu dans des dizaines d’années.

b- Impacts sur les sources et les rivières
« Les sources et les fleuves côtiers libanais ont un régime pluvio-nival caractérisé par une alimentation partagée environ 65% par le ruissellement et 35% indirectement au travers de la fonte de la neige. Cette alimentation joue un rôle essentiel de régulation de l’hydrologie libanaise. Le stock neigeux va fondre en avril, mai, juin et même juillet, alors que la saison des pluies est finie. Une élévation de la température va augmenter les débits d’hiver en décembre, janvier, février, alors que la demande d’utilisation est faible. En l’absence de stockage, cette eau sera perdue. Par contre, au mois d’avril, mai, juin, le stock neigeux plus faible ne pourra plus assurer un soutien efficace des débits, alors que la demande en eau d’irrigation est maximale. Les dates de franchissement de débits d’étiage sont avancées de 20 jours pour un réchauffement de 2°, et de plus d’un mois pour 4°. Les dates de reprise des débits liés aux premières pluies sont inchangées, ce qui entraîne un allongement de la durée de tarissements des sources et des fleuves, d’un mois pour 4°, ce qui est considérable au niveau de la gestion des ressources.
Les changements des régimes des cours d’eau entraînent des modifications des régimes des crues. Le Liban est un pays à risque pour de tels événements (la crue du Abou Ali a causé plus de 300 morts en 1955). À l’heure actuelle, les zones littorales libanaises peuvent être le théâtre de crues pluviales en février-mars et de crues de fonte de neige, suite à des coups de khamsin en mai-juin. En cas de réchauffement de 4°, les crues d’hiver pourraient être renforcées de 30%, ou même plus, car les experts envisagent un dérèglement du système pluvieux, avec apparition d’épisodes extrêmes.

c- Les défis de la gestion d’un changement climatique
« Les impacts du réchauffement climatique posent de graves questions aux aménageurs en modifiant les perspectives d’évolution économique et humaine à des échéances de l’ordre de celles des plans d’aménagement
Un réchauffement de 4 degrés accélérerait la décrue des fleuves d’une vingtaine de jours. Cette diminution de la ressource serait compensée par l’augmentation de température, qui permettrait une mise en culture et ainsi des récoltes plus précoces. On peut penser que l’agriculture irriguée ou non saurait s’adapter en raison de la longue pratique d’adaptation du monde agricole aux dates de semis. Le problème viendrait beaucoup plus de conflits avec les usages urbains, en particulier la constitution de stocks importants nécessaires à l’alimentation urbaine sur une saison de pénurie allongée d’un mois.
En raison du raccourcissement de la saison de remplissage des réserves, de nouveaux réservoirs de stockage superficiels et souterrains seraient nécessaires, avec des volumes considérables nécessités par la disparition du stock neigeux,
Les perspectives de réchauffement climatique que nous venons d’examiner sont totalement liées aux hypothèses d’émission de dioxyde de carbone au niveau mondial. Elles supposent une maîtrise de ces émissions à un niveau raisonnable. Certains pays ont déjà adopté des mesures de limitation, l’Europe en particulier. Les États-Unis semblent plus réticents, malgré l’ouverture récente du président Bush. Il sera difficile de convaincre certains pays émergents de ralentir leur croissance pour sauver d’autres pays de catastrophes majeures.
Au niveau national, il est difficile de définir des stratégies de développement comportant de très nombreuses possibilités. Les responsables gouvernementaux doivent décider dans le cadre d’un avenir incertain. Mais n’est-ce pas le propre des choix politiques ! »

Wajdi NAJEM
Directeur du centre régional de l’eau et de l’environnement - ESIB


Israël assoiffe pour régner
Plusieurs « guerres de l’eau » ont déjà eu lieu dans un passé récent. Ainsi la troisième guerre israélo-arabe de 1967, dite des Six-Jours, fut à bien des égards un conflit pour le contrôle des sources du Jourdain. Une grande partie de la tension qui a provoqué le déclenchement des hostilités trouve son origine dans les efforts d’Israël et des pays arabes visant à détourner et à exploiter à leur profit exclusif le cours du fleuve biblique. La décision d’Israël, en septembre 1953, d’assécher le lac Houleh pour capter la totalité du débit du Jourdain suscita une levée de boucliers dans le monde arabe. Afin d’apaiser les tensions naissantes, les États-Unis dépêchèrent d’urgence dans la région un envoyé spécial, Eric Johnston. Celui-ci proposa le fameux plan de partage des eaux du Jourdain qui porte son nom et qui restera pendant des décennies la référence pour toute solution négociée. Signalons que ce plan prévoyait l’octroi de quotas pour les pays riverains du bassin du Jourdain : un tiers du débit pour Israël et les deux autres tiers pour les pays arabes (Liban, Syrie, Jordanie). Mais le plan Johnston ne fut jamais appliqué en raison du climat politique extrêmement tendu et instable de l’époque.

Le fleuve Hasbani, un autre réservoir du Liban

Malgré les pressions internationales et régionales, Israël poursuivit ses travaux d’aménagement hydraulique qui devait servir à approvisionner les villes et à irriguer le désert du Néguev. De leur côté, les pays arabes décidèrent une riposte en adoptant lors du premier sommet arabe du Caire, en janvier 1964, un contre-projet de diversion des eaux du Jourdain, profitant de leurs positions privilégiées de pays en amont. Ce plan devait non seulement organiser le détournement des eaux du Jourdain vers la Syrie, le Liban et la Jordanie, mais également priver Israël des ressources du Hasbani, du Banias et du Yarmouk qui alimentent le cours du Jourdain. Israël réagit alors avec fermeté par la voix de son Premier ministre, Levi Eshkol, qui déclara le 15 janvier 1965 : « Toute tentative des Arabes visant à empêcher Israël d’utiliser la part qui lui revient des eaux du Jourdain serait considérée par nous comme une attaque contre notre territoire. J’espère donc que les États arabes n’appliqueront pas les décisions qu’ils ont prises au Caire. Si, toutefois, ils les appliquaient, une confrontation militaire serait inévitable. » Dès lors, les incidents armés se sont multipliés entre Israël et les pays arabes sur les chantiers et ouvrages hydrauliques (…) En avril 1967, l’aviation israélienne parvint à détruire un barrage syro-jordanien sur le Yarmouk. Finalement, la guerre des Six-Jours se traduisit pour l’État hébreu à la fois par des avancées territoriales et par des gains hydrauliques : l’eau du Golan et celle des nappes de Cisjordanie passèrent sous contrôle militaire israélien. Une situation qui perdure jusqu’à ce jour : un tiers de la consommation israélienne est assuré par les ressources du plateau syrien occupé et 90 % de l’eau des aquifères de Cisjordanie sont exploités pour les besoins d’Israël, notamment pour approvisionner les colonies juives.



Les réservoirs du Liban-Sud

L’État hébreu a toujours eu des visées hydrauliques au Liban, même s’il n’a jamais pu les réaliser. Ces ambitions remontent au projet sioniste de formation d’un État juif.
En 1919, dans une lettre adressée au Premier ministre britannique de l’époque, Lloyd George, le président de l’Organisation sioniste mondiale, Chaim Weizmann, écrivait : « (...) Nous considérons qu’il est essentiel que la frontière nord de la Palestine englobe la vallée du Litani sur une distance de près de 25 miles (40,5 km environ) en amont du coude, ainsi que les flancs ouest et sud du mont Hermon. » Mais le gouvernement français opposa son veto aux prétentions de la direction du mouvement sioniste ; et cela, afin de contrer l’influence britannique dans la région et de pérenniser son projet de « Grand Liban ». Israël n’a pas, pour autant, renoncé à son rêve d’accéder aux rives du Litani. Il y parviendra une première fois en 1978, lors de l’invasion militaire baptisée « opération Litani ». Le fleuve, qui prend sa source dans la vallée de la Békaa et forme un coude au niveau du château de Beaufort avant de se jeter dans la Méditerranée, constitue une ligne rouge en-deçà de laquelle Israël ne tolère aucune présence militaire hostile, qu’elle soit palestinienne ou syrienne.
En 1982, lors de l’opération « Paix en Galilée », les troupes israéliennes iront jusqu’à assiéger Beyrouth pour chasser les forces de l’OLP du Liban, avant de se redéployer puis d’établir une zone de sécurité de 850 km2 au Liban-Sud censée protéger sa frontière nord. L’expérience de ce glacis défensif sera un échec complet, qui s’achèvera en mai 2000 par le retrait des soldats israéliens et la dislocation de l’Armée du Liban-Sud (ALS), milice auxiliaire de l’État hébreu commandée par le général libanais Antoine Lahd. Au cours de ces vingt-deux années d’occupation, beaucoup ont accusé Israël de pomper l’eau du Liban-Sud, celle du Litani et des sources du Jourdain (Wazzani, Hasbani). En ce qui concerne le fleuve Litani, une telle hypothèse paraît fort improbable. Il faut savoir qu’un chantier hydraulique ne passe pas inaperçu : il nécessite une logistique lourde tant en moyens humains que techniques. Lorsque les Israéliens ont commencé à s’approprier de la terre libanaise par camions entiers, la réaction internationale a été immédiate et les transferts de terre ont cessé aussitôt. Mais il n’est pas exclu que des pompages limités aux sources du Jourdain aient pu être mis en place. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les désormais fameuses fermes de Chebaa sur les flancs du mont Hermon (sud-est du Liban), adjacentes au Golan syrien annexé par Israël en 1981, surplombent un important réservoir d’eau. Cette zone contestée lors du retrait israélien abrite, en effet, deux sources contribuant à l’alimentation du Banias, du Dan et du Wazzani qui, eux-mêmes, se déversent dans le Jourdain.
À n’en point douter, dans de futures négociations de paix avec Beyrouth, Israël ne manquera pas de revendiquer un accès aux eaux du Liban-Sud. Les Israéliens justifient leurs prétentions en expliquant qu’une grande partie de l’eau du Litani est perdue dans la mer et qu’elle pourrait servir à alimenter la Galilée du Nord. Ce à quoi les Libanais rétorquent que l’insécurité dans le Sud ne leur a jamais permis d’exploiter le potentiel du fleuve et qu’ils ont désormais besoin de toutes leurs réserves pour approvisionner Beyrouth en eau potable et développer l’irrigation dans la plaine de la Békaa.

Article paru le 22 Août 2005 dans



Quelques ressources intéressantes


Les fermes de Chebaa abritent des sources qui alimentent la rivière Wazzani.


Les enjeux géopolitiques des fermes de Chebaa
Qui sont les propriétaires des hameaux?



Malgré l'allégresse suscitée par le retrait israélien en l'an 2000, le conflit territorial entre le Liban et Israël n'a pas pris fin. Depuis, les hameaux de Chebaa sont restés une source de rivalité entre les deux pays. Rivalité actualisée par la dernière guerre avec Israël, qui a donné lieu, dans le cadre de la 1701, à une nouvelle étude du problème par le secrétaire des Nations unies. Quels sont les enjeux à Chebaa et qui sont les propriétaires de ces fermes?
Pour les familiers du territoire libanais, où marquage et signalisation restent approximatifs, un panneau indicateur est une source d'émerveillement constant. La seule région à faire exception à la règle est le village de Chebaa. Dans cette zone contestée, tous les quelques kilomètres, un petit panneau signale, en lettres blanches, la direction à suivre. Tout au long du chemin, des soldats, nouvellement installés dans leurs baraquements peints aux couleurs du drapeau libanais, dirigent les voitures vers le sud. Soudain, au détour d'un pan de montagne aride, apparaît le village blotti au fond d'une vallée verdoyante. Une route asphaltée mène quelques kilomètres plus loin à la frontière avec les territoires occupés, marqués par une ligne de barbelés. Une vieille pancarte, héritée, sans doute, d'une période antérieure à l'occupation israélienne, indique en lettres délavées: Hameaux de Chebaa.
C'est en l'an 2000 que la question des hameaux de Chebaa devient le point de mire des discours politiques, lorsque le gouvernement israélien informe le Conseil de sécurité de son intention de se retirer du Liban dont il occupe les territoires depuis 1978, en dépit de la résolution 425. Ce retrait se fait à partir de mai 2000 et le 16 juin de la même année, le secrétaire général informe le Conseil de sécurité de l'application, dans sa totalité, de la 425, conformément à la ligne tracée par les Nations unies. La Ligne bleue, qui voit alors le jour, est acceptée, avec réserve, par le Liban sur quatre points: Adaïssé, Mtellé, Chebaa et Rmeïch. Depuis, la région connaît un calme relatif, sporadiquement interrompu par des accrochages opposant le mouvement de résistance du Hezbollah à l'armée israélienne.
Les familles et les wakfs
Contrairement à l'idée que l'on se fait de la région, les quatorze fermes de Chebaa sont loin d'être une zone de combat désertée. En effet, selon le livre Les fermes de Chebaa de l'écrivain Youssef Dib, elles comptaient environ 1200 habitations permanentes, pour la plupart rasées lors des invasions israéliennes. Ces habitations servaient de résidence d'hiver aux villageois qui travaillaient la terre et qui, l'été durant, migraient vers le village de Chebaa, situé en hauteur. Aujourd'hui, de nombreuses familles habitant le village, l'Eglise grecque-orthodoxe et Dar el-Fatwa (les wakfs sunnites), qui possèdent jusqu'à trois millions de mètres carrés dans la région, se partagent la propriété des hameaux avec des centaines de familles.
Selon le dernier recensement effectué en 1989, le hameau de Maghr Chebaa était la propriété des familles Serhane et Madi; celui de Zebdine, des familles Abdallah, Nasser et Hamdane; Fachkoul de la famille Hamad; Beït-Barrak des familles Saadi et Hamdane; Ramta de la famille Hachem, dont l'un des fils est le député Kassem Hachem; Roueïsat el-Karn des familles Hanawi et Nasser; Dahr-Baïdar de la famille Saab, qui partage aussi avec la famille Kanaan le village de Jouret-Akareb; Rabaa des familles Farès et Hamdane; Khalat-Ghazalé, des familles Hachem et Khatib; Brekhta (tahta et fawka) des familles Ghader et Mansour. Quant aux hameaux de Kafwa et Marah-Maloul, ils sont la propriété des diverses familles originaires de Chebaa.
Emplacement et historique
«4000 familles possèdent, actuellement, un droit sur les hameaux de Chebaa, réparties entre les propriétaires d'origine et leurs descendants», indique Omar Zouheiri, président de la municipalité du village de Chebaa. En perdant leur source de revenu principal, qui est l'agriculture, les habitants des hameaux se trouvent, souvent, acculés à l'émigration. «Le secteur des fermes de Chebaa est très fertile en raison de la situation privilégiée des terres qui s'étendent sur diverses altitudes, cultivables donc tout le long de l'année. Dans ma jeunesse, nos champs étaient plantés d'oliviers, d'arbres fruitiers ou de graminées. Aujourd'hui, la majorité d'entre nous a vu ses enfants et sa famille quitter le village pour la capitale ou pour l'étranger», dit Ali Hussein, un habitant, également propriétaire dans la zone des hameaux. Pour ce dernier, dont la dernière récolte remonte à 1970, le souvenir des fermes reste vivace. «Les villageois ont été poursuivis par les chars de l'armée israélienne ou bien chassés à coups de feu», souligne M. Hussein, vivement ému.
Les hameaux de Chebaa sont délimités par les frontières du Liban avec la Syrie et Israël. Par rapport au Liban, ils se trouvent au sud-est de la région du Arqoub. Selon l'historien Issam Khalifeh, professeur à l'Université libanaise, la superficie des fermes de Chebaa est estimée à 47 km2, alors que de nombreux ouvrages consultés, tels que Le Statut juridique des Hameaux de Chebaa de Marie Ghantous, indiquent une superficie de 200 km2. Les territoires occupés par l'armée israélienne comprennent les 14 hameaux cités plus haut, dont l'altitude varie entre
600 et 1000 mètres. Il faut, cependant, noter que la ferme de Maghr Chebaa appartient, territorialement, à la Syrie, alors que le village de Nkhaïlé et les collines de Kferchouba, toujours occupés par les israéliens et régis par la résolution 242 du Conseil de sécurité, sont, en revanche, libanais.
Durant le mandat français, le Liban, bordé par deux Etats au sud, voit ses frontières avec la Palestine clairement tracées, cette dernière étant sous mandat britannique, alors que la frontière avec la Syrie reste vague et contestée, les deux pays étant sous mandat français. En 1920, le décret de création de l'Etat du Grand Liban par le général Gouraud, représentant de la puissance mandataire, délimite les frontières en suivant les circonscriptions administratives des divers cazas dont celui de Rachaya, qui englobe le village et les hameaux de Chebaa, les comprenant ainsi de facto dans le territoire libanais. La Constitution libanaise de 1943 reprend et entérine les frontières de 1920.
Empiètements syriens
Depuis 1943, les autorités syriennes portent atteinte, régulièrement, dans le secteur des fermes de Chebaa, à la souveraineté territoriale du Liban. Le 21 février 1944, le président de la municipalité de Chebaa, Khaled el-Khatib, dépose une plainte auprès du président de la République, en dénonçant le relevé topographique illégal fait par l'armée syrienne. En 1946, une commission formée par les deux gouvernements, syrien et libanais, charge l'ingénieur Rafic Ghazzawi (Libanais) et le juge Adnane el-Khatib (Syrien) du tracé des frontières dans la région de Chebaa, ces derniers plaçant les fermes en territoire libanais. Cependant, ce tracé n'empêche pas la poursuite des opérations topographiques par la Syrie. A partir de 1948, la région est le théâtre d'opérations militaires des forces syriennes et palestiniennes. En 1951, les Syriens interpellent des agriculteurs libanais et des accrochages entre la population et l'armée syrienne se produisent. Le président du Conseil, Sami el-Solh, relate, dans ses mémoires, l'installation d'un poste illégal de gendarmerie syrienne, dans la région des hameaux. En 1964, un nouvel accord, en date de 27/2/1964, place les fermes de Chebaa dans les limites du territoire libanais, sans mettre, cependant, fin aux infractions syriennes qui continuent jusqu'en 1967, date à laquelle Israël envahit le secteur contesté.
Occupation israélienne
«A partir du 15 juin 1967 et cela après l'accord de cessez-le-feu qui a lieu entre Israël et la Syrie, l'Etat hébreu envahit 6 des
14 fermes de Chebaa: Maghr Chebaa, Khalat-Ghazalé, Dahr-Baïdar, Roueïsat el-Karn, Jouret-Akareb et Fachkoul. Cet évènement provoque la fuite des agriculteurs et la mort de Chehadé Ahmed Moussa», se souvient M. Zouheiri.
Le 20 juin 1967, lors d'une deuxième opération militaire, Israël envahit Kafwa, Zebdine et Ramta. Le 25 juin, les fermes de Beït-Barrak, Rabaa, Brekhta tahta et fawka et Marah-Maloul sont occupées et les habitants contraints d'abandonner leurs propriétés. En 1972, Israël, qui occupe 80% des hameaux, encercle les territoires annexés au moyen de barbelés. En 1985, selon l'auteur Youssef Dib, les autorités israéliennes installent trois colonies dans la zone contestée. Israël enjoint, par la suite, en 1989, les habitants de la région à quitter leurs terres, en leur proposant de les leur racheter; proposition refusée par les habitants qui sont, alors, forcés à quitter. «Les agriculteurs peuvent, jusqu'en l'an 2000, accéder à leurs propriétés, après obtention d'un laissez-passer, fourni par l'armée israélienne», relate M. Hussein. Cependant, après le retrait de l'armée israélienne du Liban-Sud, le secteur des fermes est interdit aux Libanais.
Ligne Bleue et contexte légal
«A la suite du retrait israélien, les Nations unies ont considéré que la 425 avait été appliquée en vertu du tracé de la Ligne bleue. Ce tracé des frontières fut accepté par le gouvernement libanais, sous réserve des secteurs: Rmeich, Mtellé, Adaïssé et Chebaa», confirme le général Amine Hoteit, président du Comité de vérification du retrait israélien et docteur en Droit et Recherches stratégiques auprès de l'Université libanaise. La carte et le dossier, émis alors par les Nations unies, consignent les réserves du gouvernement libanais. «D'un point de vu légal, les fermes de Chebaa n'auraient pas dû tomber sous l'application de la 242, puisqu'elles ont été envahies après la guerre de 1967, l'occupation ayant eu lieu graduellement et s'échelonnant jusqu'aux années 80», explique le docteur en Droit international à l'Université libano-américaine, Chafic Masri. «De plus, on a rattaché à la 242 les villages de Nkhaïlé et de Kferchouba, dont les statuts n'ont jamais prêté à confusion puisqu'il ont été de tout temps considérés comme faisant partie intégrante du territoire libanais». La confusion est accentuée en 1974 par la signature des accords de désengagement entre la Syrie et Israël, qui placent le secteur des fermes de Chebaa, Nkhaïlé et Kferchouba avec le Golan, du ressort de l'Undof; résolution à laquelle le Liban ne fait pas opposition

Les enjeux géostratégiques

Pour le général Amine Hoteit, les fermes de Chebaa ont une importance aussi bien stratégique que politique. En effet, la situation même des fermes permet à l'armée israélienne de surveiller et de protéger son infrastructure militaire au Golan. La région forme un point de rencontre entre les trois pays (Israël, Syrie et Liban) et des stations d'observation ont été construites sur les crêtes du Mont Hermon. Selon l'auteur Youssef Dib, les fermes surplombent aussi les rivières du Hasbani, du Litani, ainsi que les sources du Wazzani. «L'autre enjeu d'importance pour Israël est la richesse hydraulique du Mont Hermon qui est recouvert en grande partie par le secteur des fermes de Chebaa. On estime que la nappe aquifère contient autour de
1200000 m3 d'eau, ce qui représente un enjeu stratégique pour Israël», souligne Issam Khalifeh. Trois affluents du Jourdain, Banyas, Dan et Wazzani prennent leur source dans la région. Autre atout: la qualité de l'eau, qui, selon le général Hoteit, alimente le lac de Tibériade (Tabaraya), situé en Israël, en le refroidissant et le dessalant.
Aujourd'hui, dans le cadre de la résolution 1701, le Premier ministre, Fouad Siniora, a proposé de placer le secteur des fermes de Chebaa sous la tutelle des Nations unies. Cette proposition permet de soustraire le Liban à l'équation politique régionale. «L'intérêt politique, que représentent les fermes de Chebaa pour la Syrie, lui permet de s'extraire de son isolement vis-à-vis de la question de l'occupation du Golan, en liant son sort à celui du Liban. Alors que, pour Israël, le rattachement du secteur à la 242 lui assure une place prépondérante à la table des négociations avec le Liban», indique Chafic Masri. Il estime, cependant, que, dans le cas où la question de Chebaa serait résolue, le gouvernement libanais courrait le risque de voir le front de Nkhaïlé ravivé, cette région rarement revendiquée n'entrant pas dans le cadre de la 1701.
«Toute occupation du territoire libanais par Israël, aussi infime soit-elle, justifie l'action de la Résistance. Placer le secteur des fermes de Chebaa, Nkhaïlé et Kferchouba sous l'égide des Nations unis ôterait à la Résistance toute raison d'être armée»,
conclut le professeur Masri.

Le cadastre de Saïda
Les registres fonciers des fermes sont du ressort du cadastre de Saïda, tels en attestent les actes de vente et les titres de propriété. D'ailleurs, durant les périodes successives que connaît le Liban, l'autorité libanaise s'exerce, indubitablement, sur la région des hameaux, en prenant une forme législative, juridique et foncière. Selon Marie Ghantous, le décret loi du 3/2/1930, opérant un remaniement du caza de Marjeyoun (auquel le caza de Hasbaya est rattaché par la suite), inclut le village de Chebaa et de Nkhaïlé, les hameaux se trouvant, en effet, entre ces deux derniers. L'arrêté du 4 juin 1966, déterminant les limites de la municipalité de Kferchouba, nomme, distinctement, les hameaux de Chebaa. Un jugement concernant le hameau de Zebdine, en date de l'année 1927, place ce dernier sous la compétence du tribunal de Hasbaya. Un jugement de 1944, dans une affaire de litige foncier portant sur la région de Chebaa, est rendu par le tribunal Chérié de Hasbaya et ne laisse aucun doute sur la «libanité» des fermes après l'accès du Liban à l'indépendance, en 1943. Le contrat de Tapline, signé en 1849 par la Trans Arabian Company (Aram Co) et le gouvernement libanais, concerne aussi le secteur des hameaux.

Entre topographie et cartographie
«Depuis le décret du général Gouraud de 1920, proclamant l'indépendance du Grand Liban, on s'est rendu compte que la réalité topographique du terrain ne correspondait pas au relevé cartographique», explique le professeur Issam Khalifeh. Il ajoute que, selon le décret de 1930, trouvé dans les archives du Centre de documentation de Nantes, il est établi que les villageois de Chebaa payaient leurs taxes à la France et qu'en cas de litige, l'administration de Hasbaya était l'autorité responsable. Un autre décret de loi inclut aussi Chebaa et Nkhaïlé au caza de Hasbaya (rattaché à cette époque à Marjeyoun). En 1934, le procès-verbal d'un litige qui oppose des villageois libanais aux syriens, résolu par l'intervention des autorités mandataires françaises de Syrie et du Liban, délimite les frontières entre les deux pays dans la région de Wadi el-Assal. Et c'est en 1937 que Pierre Bart, conseiller administratif du Liban-Sud, envoie un rapport à la France, indiquant que la réalité géographique ne correspond pas au dessin cartographique. Selon Marie Ghantous, cette mention est aussi reprise, en 1939, par le capitaine de Bernonville, chef de poste des services spéciaux de Koneïtra, qui en informe l'inspecteur des services spéciaux des mouhafazats de Hauran et de Damas.

Comprendre Chebaa et le Golan
, grâce à une excellente étude de l'IFRI, Institut Français des Relations Internationales et à l'accès de multiples sources cartographiques qui permettent une bonne lecture d'un problème assez complexe...
Rien de mieux, à coup sûr, qu'une
bonne carte de localisation pour bien comprendre les enjeux, notamment hydrauliques, de ce secteur controversé, revendiqué par le Liban avec l'appui de la Syrie. Une seule chose est sûre, ce territoire est encore occupé par Israel et ne lui appartient pas.
> Les fermes de Chebaa avec Wikipédia


Vue générale du village de Chebaa

Principal enjeu du litige sur Chebaa : sa richesse hydraulique

Quels sont les droits du Liban sur les fermes de Chebaa ? Pourquoi Israël refuse-t-il de se retirer de ces territoires controversés et dont la libanité reste tributaire d’un règlement définitif émanant de l’ONU ?
Au-delà du problème de l’identité de ces hameaux, l’enjeu des ressources hydrauliques demeure primordial, cette région du Liban étant considérée comme
« un château d’eau ».

+ de détails?


Le Liban, chateau d'eau régional et terre de convoitises...

un bon article suite au passage au Liban, au cours du Printemps 2004,
de Mr Gilles Labarthe, grand spécialiste de la question.


L'Eau au Moyen-Orient, parmi les nombreux sites qui abordent ce thème brulant, nous avons retenu celui-ci, exclusivement consacré à ce qui sera un enjeu majeur pour demain.Il est également traité indirectement dans de nombreux sites mentionnés dans d'autres rubriques comme les recherches et publications.On appréhendra aussi cet enjeu de l'eau notamment dans les zones frontalières Israelo-Libanaises et le plateau du Golan par une bonne Carte parue en l'an 2000 dans le Monde Diplomatique.


Hydrotour, un projet de globe-trotter réalisé par un couple de l'Afrique au bout de l'Asie pour toucher de près les réalités et enjeux géostratégiques de l'Eau auprès des populations rencontrées. Le Liban fut une étape de cet itinéraire lors de l'été 2003.


A lire aussi sur le sujet dans



L'Atlas de l'eau dans le monde avec H2O


le magazine en ligne de référence des ressources en eau dans le monde

Carte des ressources et de la gestion de l'eau au Liban

>> Articles à lire: Guerres et Paix au Proche-Orient

" L’enjeu politique du contrôle des ressources hydrauliques entre
le Liban, la Syrie et Israël
"

Nous contacter ou commander le numéro spécial de
La Revue d'Etudes Géopolitiques

email / courriel: